Affaire du Joola : Une accablante vidéo dénonçant l’irresponsabilité du gouvernement sénégalais fait le tour du monde

Publié le par Itiou

La « plaidoirie » d’un avocat Sénégalais Me Daouda Seck, disponible en vidéo que se passent les internautes, a été primée au «Concours international de plaidoiries» tenu début février 2009 en France, pour sa défense des victimes du «Joola» contre l’irresponsabilité du gouvernement sénégalais.



Le 26 septembre 2002, le Joola, bateau assurant la liaison Dakar-Ziguinchor coulait aux larges des côtes gambiennes avec près de 2000 passagers à bord. Seules 64 personnes seront rescapées du drame selon le bilan officiel. Me Seck remporte le 2ème prix de ce concours organisé par le Mémorial de Caen à un moment où au moins deux affaires judiciaires brouillent les relations sénégalo –françaises, dont l’une porte justement sur l’affaire du Joola. La vidéo en question est disponible à http://www.memorial-caen.fr/portail/av5.wmv. La plaidoirie de Me Seck défend les victimes du Joola à travers une rescapée, que l’avocat nomme «Ken Bugul» dans sa plaidoirie «pour lui assurer son anonymat». Mais, Me Seck a confié à Ouestafnews qui livre l’info, que la dame en question existe bel et bien et qu’elle «est bien connue des associations de défenses des victimes du Joola». Dans le document vidéo, que se passent les internautes sénégalais depuis la mi-février 2009 et qui a été visionné par Ouestafnews, l’un des présentateurs qui introduisent Me Daouda Seck en profite pour remettre en cause le «modèle» démocratique sénégalais avant de passer la parole à l’avocat. «Le Sénégal, on a tendance à le voir comme un pays modèle en Afrique de l’Ouest, comme un pays qui a aboli la peine de mort, qui a ratifié tous les traités qui protègent les droit humains, les droits civils, politiques et culturels», affirme ce présentateur uniquement identifié par son prénom «Simon» sur la vidéo et qui parlait au nom de Amnesty International. Dans sa plaidoirie primée en France, l’avocat sénégalais affirme d’emblée, que « ceci n’est pas un conte (ni) un divertissement (…) mais une tragique réalité », avant de se lancer dans une description lyrique des voyages à bord du Joola, à destination de la « verte Casamance » ou encore du « ballet des dauphins sur le sillage du navire pour mieux captiver son auditoire.
Suit un long réquistoire contre les errements du gouvernement dans cette affaire.

24h Chrono



Ken Bougoul ou la tragédie des sans voix : Chronique d’un silencieux naufrage

Emouvant. C’est le mot qui sied le plus pour qualifier le contenu de ce texte. Une émotion qui se mue rapidement en colère face à toute cette injustice, à toute cette légèreté dans la gestion du bateau Le Joola et celle de son naufrage.
Le sujet abordé par Me El Hadj Daouda Seck, lors du Concours international de plaidoirie pour les droits de l’Homme, qui s’est tenu à Caen le 1er février dernier, lui a valu d’être classé 2e de ce concours en quatre langues. Il a honoré le Sénégal avec un thème loin d’être glorifiant pour ce même pays. Mais, lors de ce concours, Me Seck a tenu à être la voix des sans voix dans un dossier où l’irresponsabilité de l’Etat du Sénégal s’affiche de manière insolente.

Image Il est assez fréquent qu’en prélude à son ouvrage, l’auteur plaque un avertissement, comme une sorte de parapluie opportunément ouvert pour se protéger des éclaboussures de son propos. S’il m’était permis d’en faire autant et au rebours de ce à quoi nous sommes accoutumés, j’aurais dit :
«Ceci n’est pas un conte. Ceci n’est pas un divertissement.»
«Toute ressemblance avec des personnages et situations ayant existé n’est ni le fruit du hasard, ni une malencontreuse coïncidence, mais une tragique réalité.»

Mesdames Messieurs,
Pourtant tout aurait pu commencer comme dans un conte :
Il était une fois, un beau navire qui desservait la liaison maritime entre Dakar, capitale du Sénégal, et Ziguinchor, plus au sud, dans la verte Casamance.
Le Joola, tel était le nom de ce navire, c’était aussi toute une ambiance : les promenades sur le pont où les contacts se nouaient après la cohue de l’embarquement.
Le bonheur de découvrir le ballet des dauphins avant le débarquement.
Le jeudi 26 septembre 2002, vers 23 heures, le navire, qui était prévu au maximum pour 550 passagers, chavirait avec environ 2 000 personnes à son bord.
Combien étaient-elles, combien sont mortes ? On ne le saura jamais avec exactitude !
La carcasse engloutie d’un navire d’une capacité théorique de 550 passagers est la pathétique ultime demeure d’une liste nominative, à jamais provisoire de 1 953 victimes !
1 953 morts… 64 survivants… dont une seule femme, Ken Bougoul.
Dans la langue la plus parlée au Sénégal, le Ouolof, Ken Bougoul signifie littéralement «personne n’en veut». Mais, c’est par des prénoms de ce genre que, selon certaines croyances, et pour conjurer le mauvais sort, on baptise l’enfant issu d’un ménage où les bébés décèdent de façon répétitive.
Et pour toute réaction à une pareille tragédie, aucune réaction ! On érige le silence en roi dans ce royaume d’interrogations, comme pour faire diversion.
Ken Bougoul et toutes les victimes sont des sans voix. Sans voix parce que pour le plus grand nombre, on ne les entendra plus. Sans voix parce que pour ceux qui réclament justice c’est comme si on refusait de les entendre.
Et pourtant, personne ne voudrait connaître le sort de ceux qui ont péri dans ce navire. Personne ne voudrait vivre ce que les familles de victimes continuent de souffrir.
Paradoxalement, personne ne veut les entendre et l’on veut vite en finir.
Le maître mot c’est… silence, puisque c’est une cause malcommode que l’on veut engloutir.
Alors j’ai choisi de porter cette robe noire à l’image de ce jeudi sombre qui les éprouve encore
Noire comme le dédale de ces procédures ténébreuses qui inspirent une mise à mort.
Noire comme ce mépris inacceptable qu’on leur oppose à tort.
Noire comme cette injustice monstrueuse qui ne sera pas sans remord.
Avec ma robe, je serai «la bouche de ceux qui n’ont point de bouche» comme le fut Césaire.
Je vais hurler pour que nul n’en n’ignore, si c’est encore nécessaire.
Et plaider en ce lieu la violation des Droits de l’Homme comme il en est le sanctuaire.
Ames sensibles éprises de Justice, est-il permis de se taire ?
Devant une concession dont les murs réclament désespérément une couche de peinture.
Je vais à la rencontre de Ken Bougoul, la seule femme rescapée du drame.
Poules, pintades et canards égaient paradoxalement le décor d’une maison dont l’atmosphère rappelle celle d’un lieu de recueillement.
Avec une voix faible, mon interlocutrice me confie : «Les choses se sont passées avec une rapidité telle que personne n’a compris. Le ciel était tout noir et il pleuvait faiblement, ceux qui étaient sur le pont avaient commencé à rejoindre les cabines. Brusquement, un violent mouvement du bateau, les lampes s’éteignent et on sentait l’eau envahir le navire progressivement sous les cris des passagers terrorisés dans le noir et qui ne comprenaient rien de ce qui se passait.»
Les passagers n’avaient donc rien compris mais le comble c’est que leurs familles cherchent toujours à comprendre, mais on ne veut pas leur expliquer, ni même les entendre.
Et pourtant, Dieu sait qu’elles ont des choses à dire.
Pourquoi a-t-on remis en mer un navire coutumier des incidents récurrents et immobilisé pendant près d’un an ? Pourquoi a-t-on entassé autant de personnes dans un bateau dont un des moteurs avait été rafistolé pendant que l’autre était en rodage ? Pourquoi l’alerte n’a-t-elle été déclenchée qu’à 8h du matin pour un naufrage intervenu à 23h la veille ?
Pourquoi aucun appel de détresse n’a-t-il été reçu ?
Pour toute réponse… un silence assourdissant alors que le naufrage continue jusqu’à ce jour à éprouver rescapés et familles de victimes.
1953 morts…. 64 survivants… et on fait comme si tout allait bien.
Ken Bougoul se souvient : «J’avais déjà une certaine expérience de la mer, car je partais à la pêche en pirogue dès mon jeune âge et c’est peut-être ce qui m’a permis de pouvoir remonter à la surface. L’eau de mer était fortement mélangée au gasoil qui déferlait du navire et j’en ai beaucoup avalé.»
Ken Bougoul était enceinte de quatre mois au moment du naufrage.
L’eau de mer fortement mélangée au gasoil fut son unique breuvage.
Elle a accouché d’une fille surnommée «bébé Joola», mais le bonheur de cette naissance n’a jamais illuminé son existence qui tangue vertigineusement entre bâbord et tribord.
«Bébé Joola» est malade et sa mère sans ressources ne peut lui offrir le luxe d’un médecin.
Les droits des enfants et le droit à la santé peuvent attendre d’autres lendemains.
Pour l’heure, la priorité de Ken Bougoul réside dans l’équation du prochain repas.
Avec huit enfants à charge, il faut vite aviser ou les voir passer de vie à trépas.
Et pourtant, l’article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme proclame généreusement : «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (…)»
Et il poursuit : «La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale (…).»
Ken Bougoul, une femme enceinte de quatre mois qui pour coûte que coûte sauver sa vie et celle qu’elle porte avale eau de mer et gasoil en un sombre mélange.
Ken Bougoul, une mère indigente et malade avec à son chevet, son enfant de 6 ans malade, également, mais sans aucune forme d’assistance.
Et pourtant, la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) adoptée en 1946, proclame : «La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.»
A quand le respect des droits reconnus à la maternité, à l’enfance et à la santé ?
L’Etat Sénégalais a commencé par une cargaison de promesses dans le navire d’amertume des familles de victimes voguant vers le port de l’espérance.
A l’arrivée, c’est un conglomérat d’avaries impropres à la consommation.
Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs : pas de renflouement du navire pour permettre aux familles de faire leur deuil, pas d’association de familles de victimes, le ministre de l’Intérieur ayant dissout l’association sans aucune forme d’explication, pas de Musée du Souvenir comme promis puisque le site précédemment retenu est affecté à autre chose et comme si tout ceci ne suffisait pas : pas de Justice.
«La raison du plus fort reste décidément toujours la meilleure», aurait pu dire La Fontaine. Pourtant il ne s’agit pas d’une fable, même tragique, et nous ne sommes pas les animaux de la jungle.
C’est la dignité humaine qui est menée à l’autel du sacrifice par d’autres humains.
Le crime qui ne peut être absous est celui d’être victime du mauvais sort.
Le Président Wilson Churchill disait : «En temps de guerre, la vérité est tellement précieuse qu’elle est escortée par un tas de mensonges.»
Le fait que ce navire était géré par des militaires permet-il de penser que nous serions en perpétuel temps de guerre ?
Le 16 mars 1978 au large de Portsall l’Amoco Cadiz, pétrolier battant pavillon libérien s’était échoué. Conséquences judiciaires ? 14 ans de procès.
Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika sombrait dans le Finistère, alors qu’il transportait une cargaison d’hydrocarbures. Conséquences judiciaires ? Jusqu’à ce jour, le procès est en cours.
Le 26 septembre 2002, au Sénégal, le naufrage du Joola faisait plus de victimes que Le Titanic 1 953 morts … 64 rescapés. Conséquences judiciaires ? Classement sans suite.
Pour les hydrocarbures, pour les gros intérêts en jeu, pour les plages polluées, ce sont procédures à l’infini ! Mais pour 1 953 morts, silence… C’est le coup du sort.
Le 7 août 2003, le Procureur Général près la Cour d’Appel de Dakar annonce que le Ministère Public a pris la décision de classer sans suite pénale le dossier du naufrage.
Par un raisonnement d’une virtuose acrobatie, le Parquet est arrivé à la conclusion renversante qui attribue l’entière responsabilité du naufrage au Commandant du navire, opportunément décédé dans la tragédie.
Ecoutez ce réquisitoire : «Les causes essentielles de cette tragédie (…) engagent la responsabilité du commandant à qui il incombe seul la décision d’appareiller. Il est évident que compte tenu de la surcharge avérée, il lui appartenait de refuser d’appareiller comme le ferait tout commandant de bord qui se conforme à la réglementation.»
«Le commandant du bateau faisant partie des personnes disparues, l’action publique doit être considérée comme éteinte à son égard, ce qui, au vu de l’article 6 du Code de procédure pénale, conduit le ministère public à la décision de classement sans suite du dossier au plan pénal.»
C’est ainsi que dans un huis-clos anonyme et honteux on a hermétiquement clôturé le drame.
Le regard perdu de Ken Bougoul me revient et visiblement toutes ces tracasseries l’ennuient.
Quand je lui demande son sentiment sur ce capharnaüm juridique elle me répond qu’elle n’y comprend rien et que sa préoccupation c’est plutôt sa fille malade.
«Dieu m’a sauvée» dit-elle avec détachement «j’aurais pu périr comme ceux qui sont restés dans le navire et je ne serais pas là à vous parler».
Cette réflexion de mon interlocutrice trouble ma double conscience : la professionnelle et la spirituelle.
Pour l’avocat que je suis c’est une opération arithmétique : faits avérés + imputabilité indiscutable = responsabilité.
Pour le croyant que je souhaite devenir chaque jour encore plus, Ken Bougoul me montre la voie en parlant du Tout Puissant.
J’ai dû recourir à la doctrine pour y voir plus clair, mais pas celle du Dalloz
En effet, dans son discours du 1er octobre 2002 le président de la République du Sénégal parlait fort justement de cause :
«Sénégalaises, Sénégalais, Mes Chers compatriotes,
Notre pays vient d’être durement frappé par une immense tragédie qui a coûté à notre peuple plus d’un millier de personnes, hommes, femmes et enfants. Notre douleur est insondable, notre malheur incommensurable, tant le désastre par son étendue touche toutes les catégories ethniques, sociales et religieuses de notre pays.
Bien sûr, le destin est le fait du Tout Puissant mais Dieu nous a aussi dotés de liberté, donc de responsabilité dans les actes que nous commettons et qui peuvent précipiter le cours des choses.»
Responsabilité ! Le mot est lâché. Ken Bougoul et toutes les victimes méritent justice.
Je pense à ces deux pères de famille rencontrés à Dakar qui ont perdu respectivement trois et quatre enfants d’un coup mais dont la détermination force le respect.
Je pense à cette maman française qui n’hésite pas à faire le voyage entre l’Europe et l’Afrique œuvrant sans relâche et avec courage pour le triomphe de la justice.
Je pense à tous ces frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines, amis, camarades, professeurs, voisins, ces anonymes choqués par le drame pour tout dire, à ces êtres humains sensibles à la tragédie des sans-voix.
Et pourtant, l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ajoute : «Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi.»
L’Etat a reconnu sa responsabilité civile et indemnisé certaines familles de victimes.
Pour d’autres, ce n’est pas une question d’argent mais un besoin de Justice qu’elles désespèrent d’assouvir un jour.
Et pourtant, là encore, l’article 10 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme dispose : «Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.»
Equitablement et publiquement dit le texte mais de l’autre côté c’est le huis-clos du classement sans suite pour un drame affectant des passagers de 12 nationalités différentes dont la Guinée-Bissau, le Ghana, le Cameroun, le Niger, le Liban, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, l’Espagne, la France et le Sénégal, bien sûr !
En vertu de la compétence personnelle passive, régie par l’article 113-7 du Code pénal français, une information judiciaire a été ouverte le 1er avril 2003 en France.
Le 12 septembre 2008, coup de théâtre !
Le juge Jean-Wilfried Noël du Tribunal de Grande Instance d’Evry qui instruit l’affaire du Joola, lance 9 mandats d’arrêt internationaux contre de hauts responsables Sénégalais en fonction au moment du naufrage pour «homicides involontaires et non-assistance à personnes en danger».
Les autorités sénégalaises désapprouvent et au nom de la réciprocité, le Doyen des juges d’instruction du tribunal de Dakar lance à son tour un mandat d’arrêt international contre le juge Noël pour forfaiture... Peut être qu’il a commis le crime… de vouloir rompre le silence pour faire parler la loi.
1 953 morts…. 64 survivants…1 900 orphelins mineurs… et «bébé Joola» malade auprès de sa mère malade qui croit encore à l’Humanité et aux droits de l’Homme.

Mesdames, Messieurs,

Ce n’est pas pour moi que je réclame vos lauriers !
En m’en couronnant, vous mettrez un terme à ce concert assourdissant de silences !


Mardi 17 Février 2009 - 14:18
Groupe 24'COM

Publié dans société

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A
J'étais dans un avion paris dakar au moment du drame et suis resté une semaine au senegal je n'ai vu que discours politiques et prières pendant que les rescapés suffoquaient sous la coque prisonniers dans une bulle d'air.Il aurait été facile de demander a l'armée française d'intervenir mais la fierté nationale devait être plus forte!J'ai connu un Libanais qui travaillait au port de Dakar et a pris sur lui avec ses hommes grenouilles d'aller inspecter le Jola plusieurs jours après et n'a trouvé que des corps sans vie! Oui les autorités sont responsables et créer un cimetière des naufragés du Jola à Rufisque était le minimum!
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